Le pouvoir de reculer et de présenter des excuses, est un pouvoir fort méconnu...
J'ai eu beaucoup d'admiration envers cet éléphant, filmé dans le Serenguetti, qui face à un rhinocéros buté, corne baissée, recule doucement, puis s'écarte. J'ai admiré de même l'achévèque de Lyon, Decourtray, quand il reconnut la faute partagée par plusieurs ecclésiastiques, d'avoir caché le milicien Michel Touvier dans leurs couvents, et l'avoir soustrait à la justice pendant tant d'années. Voilà un éléphant et un archévèque qui avaient quelque profondeur dans leurs interactions sociales...
Mon père avait eu ce pouvoir, le pouvoir de me présenter ses excuses par écrit, et il en a usé, en 1968. Notre mère n'a jamais eu ce pouvoir de reculer et de s'excuser. Elle n'avait aucune profondeur, toute entière dans sa façade, dans son escalade d'agressions et de dénis de réalité.
La suite a prouvé que si notre père avait bien eu ce pouvoir de reculer et de s'excuser après agressions jalouses, là s'est borné son pouvoir.
Quand par la suite, par faiblesse envers sa seconde épouse, il s'est laissé dépouiller et nous a fait dépouiller par elle, là il n'a plus jamais été capable de reconnaître son errement, ni n'a plus rien fait pour tenter d'en réparer les conséquences.
Là, il est demeuré jusqu'à sa mort dans son déni de réalité, si bien exploité par Saddam Zussom.
L'escalade symétrique est bien connue des analystes des interactions humaines. Elle était déjà expliquée en détail pour le grand public dans le petit volume de P. Watzlawick, J. Helmick Beavin et Don D. Jackson :
Pragmatics of Human Communication. A Study of Interactional patterns, Pathologies, and Paradoxes. 1967 W.W. Norton & Compagny, inc. New York. Traduction française au Seuil en 1972 :
Une logique de la communication.
Evidemment que les couples qui vivent en escalade symétrique vont très mal...
C'est vrai aussi des conflits d'entreprise, et des conflits d'équipe. Les escaladeurs compulsifs manquent de profondeur stratégique dans leur personnalité, toute contradiction externe les mobilise vers la guerre immédiate sur leurs frontières, imaginairement menacées. Faire la guerre à son prochain est leur seule façon de gérer leurs propres torts, leurs propres faiblesses et noyaux psychotiques.
L'épisode malheureux du
Bathybius haeckelii, permit au biologiste Thomas Huxley, de faire la preuve que l'humour vient volontiers au secours de la démarche scientifique.
Bathybius
(definition) by Webster 1913 (print) Tue Dec 21 1999 at 22:03:57
Ba*thyb"i*us (?), n. [NL., fr. Gr. deep + life] Zool.
A name given by Prof. Huxley to a gelatinous substance found in mud dredged from the Atlantic and preserved in alcohol. He supposed that it was free living protoplasm, covering a large part of the ocean bed. It is now known that the substance is of chemical, not of organic, origin.
Thomas Henry Huxley, a famous defender of Darwin's theory, supposed that life had formed originally in a cellular fluid called "protoplasm", similar to to the Urschleim (original slime, in German) proposed by Ernst Haeckel. Eventually Huxley reanalyzed some samples of the Atlantic floor, and saw what he thought that could be evidence of something similar to this "protoplasm", and named it Bathybius haeckelii, in honor to Haeckel. While Haeckel believed, among other such as Peregrin Casanova, that Bathybius corresponded exactly to his theory, Huxley supposed that it was just an organic substance that covered all the oceanic floor. During the Challenger expedition, more samples from oceanic floor were collected. The samples shown no sign of the presence of Bathybius at the collecting time, but seemed to grow in the containers on the way to England, where it was bring to analyses.
En colloque, un autre biologiste invoque le Bathybius en renfort d'une théorie évolutioniste encore incertaine de ses preuves, alors qu'un chimiste embarqué (Buchanan ?) avait déjà fait la preuve que le présumé protoplasme n'était qu'un précipité de sulfate de calcium, dû à la décompression de l'échantillon d'eau profonde. Les regards se portent alors sur Huxley, qui se lève et déclare :
"
Bathybius, je l'aimais bien. Je l'ai même porté sur les fonts baptismaux. Mais que voulez-vous ? Il arrive que même les meilleurs amis vous lâchent !".
Pas d'escalade symétrique et narcissique chez Huxley, une retraite en bon ordre vers une position plus sûre.
A contrario, il est à rappeler comment menace un corrupteur maffieux, ou l'officier traitant d'un espion, qu'il a recruté et compromis : "
Oh ! Mais n'oublie pas que tu ne peux plus reculer ! Tu as déjà commis pour nous des actes criminels qui vont te valoir la prison si des preuves parviennent à la justice de ton pays ! Alors tu dois continuer de nous servir, sinon !". Et comment le corrupteur choisit-il sa proie, son instrument à corrompre ? Il sélectionne justement celui qui n'aura jamais la force de la résipiscence, qui n'a aucune profondeur ni morale ni stratégique, qui est entièrement dépendant de sa façade, de ses dettes de jeu, de son train de vie au dessus de ses moyens réels...
La question de la résipiscence est donc l'articulation maîtresse entre l'esprit scientifique, le management de la recherche, le management et l'art de diriger très généralement, et la santé mentale.
Pour élever des enfants, on se trompe, on se trompe constamment. Mais corrige-t-on ses erreurs et leurs conséquences ?
En droit français, l'appareil judiciaire est automatiquement exempté de toute correction, de toute résipiscence, blindé par l'autorité de la
chose hâtivement jugée. D'une part, cela fait qu'il attire justement des personnalités assez pathologiques, au narcissisme rigide et ombrageux, voire franchement sadiques. D'autre part, cela le disqualifie radicalement pour qu'il joue sa part dans l'équipe d'une psychothérapie sous mandat, rendu incapable d'explorer par essais et erreurs corrigibles.
Le non-accès à la résipiscence, une question centrale.Résipiscence ? Pourquoi donc faut-il ouvrir les Mémoires de guerre de Charles de Gaulle, pour découvrir l'existence de ce vieux mot, le seul qui soit parfaitement exact et adapté ?
"
Ils se fermèrent à eux-mêmes la voie de la résipiscence"
Au printemps 1934, Charles de Gaulle faisait paraître « Vers l'armée de métier ». Il faudrait une sacrée dose de mauvaise foi pour me taxer de gaullisme. Toutefois, depuis les neuf ans (dix ans maintenant) que j'ai acheté les Mémoires de guerre chez un bouquiniste de Montélimar, le paragraphe qui suit, extrait de la page 21, me reste dans la tête, et me contraint à réfléchir :
Citation :
" ...
Cependant, les organismes officiels et leurs soutiens officieux, plutôt que de reconnaître d'évidentes nécessités et d'accepter le changement, quitte à en aménager la formule et les modalités, s'accrochèrent au système en vigueur. Malheureusement, ils le firent d'une manière si catégorique qu'ils se fermèrent à eux-mêmes la voie de la résipiscence. Pour combattre la conception de l'armée mécanique, ils s'appliquèrent à la défigurer. Pour contredire l'évolution technique, ils s'employèrent à la contester. Pour résister aux événements, ils affectèrent de les ignorer. Je vérifiai, à cette occasion, que la confrontation des idées, dès lors qu'elle met en cause les errements accoutumés et les hommes en place, revêt le tour intransigeant des querelles théologiques.
Le général Debeney, glorieux commandant d'armée de la grande guerre, qui, en 1927, en sa qualité de Chef d'état-major général, avait élaboré les lois d'organisation militaire, condamnait formellement le projet. Dans la Revue des Deux Mondes, il exposait avec autorité que tout conflit européen serait tranché, en définitive, sur notre frontière du nord-est que le problème consistait à tenir solidement celle-ci. Il ne voyait donc rien à changer aux lois, ni à la pratique,
... Le général Weygand ...
Le maréchal Pétain ... "
Soit le gratin du commandement militaire de l'époque.
Ecrivain exigeant avec lui-même, Charles de Gaulle avait le don de ramener sur le devant de la scène des mots rares, parfois désuets, tous parfaitement justes (à la «
chienlit » près... et le «
Volapück » non plus, n'était pas des plus heureux), et qui obligeaient le gros des français à ouvrir un dictionnaire pour déchiffrer chaque discours télévisé du général. Nous voici donc avec « résipiscence » dans la mâchoire. A nous de le digérer, car c'est justement un concept-clé pour notre action. O.W. Wilson lorsqu'il reprit en main la police de Chicago en 1960 fut bien contraint de ne sanctionner qu'une minorité de policiers, les irrécupérables, et amener à la compétence et à la résipiscence le plus grand nombre. Nous sommes devant la même contrainte stratégique.
Celui qui a le mieux compris cette contrainte, fut Gandhi. Et les résultats obtenus par ceux qui l'ont compris, j'ai nommé le pasteur Martin Luther King et l'avocat Nelson Mandela, sont parmi les résultats les plus remarquables du 20e siècle. Nous devons obtenir la prise de conscience de leurs erreurs et leur amendement, soit la résipiscence, du plus grand nombre, c'est indispensable pour isoler les brebis les plus galeuses. Tel doit être le guide de notre action au long des années qu'il y faudra.
C'est quand même un sacré phénomène, que cette question centrale de la résipiscence, et du non-accès à la résipiscence, ainsi exprimée par Charles de Gaulle, soit un concept informulé et inexprimé par le restant du monde. Alors que c'est est un concept central dans l'évaluation de bien des gens pour tel poste, pour telle tâche, pour telle responsabilité.
C'est le non-accès à la résipiscence qui fait de la vanité la voie royale vers l'imposture (vanité plus incompétence inavouée suffisent), puis de l'imposture vers la paranoïa, de peur d'être démasqué(e). Feu Donald Winnicott nous rappellerait que ce non-accès à la résipiscence est une aggravation directe, une conséquence directe du non-accès durable à la position de désillusion de soi-même. Ce qu'il appelait, de façon malheureuse et trompeuse, la "
position dépressive".
Les pervers, qu'ils soient narcissiques ou histrioniques, ou en intergrade, sont tous sans accès à la résipiscence, tous enfermés dans leur escalade vers toujours plus d'imposture et d'abus de son prochain, pour mieux le contrôler.