Il est indispensable d'emprunter aux psychiatres le concept d'épreuve de réalité.
Ensuite, il est indispensable de connaître et de comprendre les épreuves de réalité des professions voisines, les clients comme les fournisseurs en connaissances.
L'état des lieux est hélas alarmant.
L'épreuve de réalité expérimentale des physiciens, a visiblement été calquée sur les cadrans de nos appareils de mesure, restreinte aux seules parties numériques des résultats; tandis qu'on occultait que les pseudo-outils utilisés prédisaient systématiquement des contre-vérités; ainsi les "produits vectoriels" prédisaient des symétries toujours fausses ; l'oubli du radian dans les monômes dimensionnels entassait des grandeurs incompatibles dans la même case dimensionnelle ; la confusion entre nombres et grandeurs conduisait tout droit au style âge du capitaine, où les calculs sont devinés par quelque "méthode globale", sans règles ni garde-fous. Devant le spectacle d'une épreuve de réalité ainsi carencée, j'avais préconisé en 1995 qu'on n'hésite jamais à emprunter aux professions voisines, clientes et fournisseuses, ou parallèles, leurs épreuves de réalité, leurs disciplines, leurs critères de pertinence. Nous n'en aurons pas trop !
De manière plus générale, les disciplines de la communication interprofessionnelle sont sous-développées dans l'université. En comparaison, j'ai connu plusieurs industries où cela se passait bien mieux, avec une grande efficacité. On y respecte bien plus volontiers une obligation contractuelle de qualité, de respect des normes communes. On y est nettement plus conscient qu'on dépend de fournisseurs, et qu'on a des obligations de service envers des clients. Dans l'industrie, le client peut voter avec ses pieds et son portefeuille.
De mon vivant, j'ai vu évoluer à grande vitesse les sciences dont les clients sont puissants, et sombrer en léthargie celles où les clients sont faibles, divisés, intimidés, incapables de faire respecter leurs besoins en qualité des sciences fournies. J'ai même vu une avancée scientifique peu diffusée chez les universitaires, soigneusement tue comme un secret industriel, par celles des entreprises qui en avaient perçu la puissance et la pertinence. Chhhut !
Et cela se passe-t-il mieux entre professions universitaires ?
Voire...
Pour oser emprunter à une profession voisine une épreuve de réalité non encore usitée chez soi, il faut déjà être curieux, ensuite respecter l'autre, et ne pas être paralysé par sa propre insécurité ontologique. C'est comme pour apprendre le patin à glace à l'âge adulte : il faut oser se rendre publiquement ridicule devant d'autres experts, jusqu'à ce qu'on sache.
Hélas, nombre de scientifiques ont choisi ce métier justement par insécurité ontologique, par un choix de fuite fait à l'adolescence, de toute les complications des relations humaines. Cette attitude fondatrice fuyarde, ça n'aide pas aux riches communications interprofessionnelles. Combien entend-on de persiflages vengeurs et craintifs dans les amphis, dans les salles de TD, auprès des machines à café...
Cet article est liminaire. Ensuite, nous allons détailler davantage les épreuves de réalité par familles : les expérimentales, les logiques et mathématiques, la sémantique et l'enracinement dans des références concrètes et son complément dialectique, les arbres d'abstractions graduées, enfin l'épreuve de transmissibilité par enseignement.
Pour cette dernière, s'affranchir au maximum du biais juge-et-partie de l'enseignant, surtout dans l'enseignement supérieur. Celui-ci aboutit souvent à contraindre l'étudiant à prendre des vessies pour des lanternes, sous peine d'être éliminé. Faire une place maximale à l'évaluation de la transmission aux adultes déjà insérés dans la vie professionnelle, par exemple aux ingénieurs et techniciens qui ont besoin d'informations scientifiques complémentaires pour pouvoir mener à bien un projet.